Architecture Classique, émergence Et Vulgarisation D'une Catégorie ...
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1Louis Hautecœur et l’architecture classique en France : ce binôme presque obligé dans le domaine de l’historiographie de l’architecture française au xxe siècle a désormais fait son temps, même s’il conservait encore, il y a moins de vingt ans, une valeur de référence1. Pourtant, au-delà de la somme à la fois narrative et iconographique que les sept tomes de l’Histoire de l’architecture classique en France (1943-1957) représentent et qui paraît dépassée dans ses contenus et dans sa forme, quel est aujourd’hui l’intérêt du travail de cet historien, quelles ont été ses méthodes, et comment son approche s’est-elle prolongée dans l’action du fonctionnaire qu’il était aussi ? Ce sont des questions auxquelles nous avons répondu2 et qui demeurent à l’horizon de l’exposition que ce catalogue accompagne. Cette exposition explore la conception de l’histoire alliant rigueur scientifique et souci pédagogique, par laquelle Hautecœur façonne une notion de classicisme capable de fédérer le passé et le présent de l’architecture française, des années 1910 aux années 1950, non seulement sur le plan de la protection du patrimoine, mais aussi dans le champ du projet architectural et urbain. Au-delà de l’exposition, ce catalogue vise donc à renouveler la réflexion sur cette notion d’architecture classique dont Hautecœur se sert à la fois pour sa construction historiographique et dans son approche de l’architecture de son temps.
1. Louis Hautecœur, L’Architecture française de la Renaissance à nos jours, Paris, Éditions d’Art et d’Histoire, 1941, couverture.

INHA, 8 B 8 (3).
La France et l’architecture classique avant l’architecture classique2. Pl. XLII « Vue de la façade postérieure du château de Tanlay dans l’Yonne de Pierre Le Muet (1643-49) »Publiée dans Louis Hautecœur, Les Richesses d’Art de la France. La Bourgogne, t. I , Paris, Van Oest, 1927-1929.

INHA, Fol C 290 (2).
2Nourrie par une conception de l’histoire nationale qu’Ernest Lavisse, l’un de ses maîtres, élabore dans le dernier quart du xixe siècle et que son Histoire de France parue entre 1901 et 1911 réalise3, la catégorie d’architecture classique forgée par Hautecœur désigne le xviie siècle comme l’apogée d’un cycle historique qui permet de suivre les étapes de l’affirmation d’une identité spécifique de l’architecture française. Son projet prolonge donc, jusqu’aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, un dessein dont le climat culturel des débuts de la Troisième République a permis l’essor. Aussi avons-nous voulu présenter d’abord une nouvelle analyse du contexte français entre le dernier quart du xixe et le début du xxe siècle, qui vise à repérer, avant même l’apparition de la notion d’architecture classique, l’engouement pour l’architecture française des xviie et xviiie siècles, et la progressive mise en valeur de celle-ci en tant qu’héritage de la culture architecturale nationale. L’étude que Ruth Fiori consacre ici à l’émergence, dans les années 1890, d’un intérêt nouveau pour le patrimoine du xviiie siècle et ce qu’il en résulte pour l’architecture d’immeubles et d’hôtels particuliers du Paris fin de siècle, permet de mesurer l’importance des raisons culturelles et socio-politiques qui fédèrent les reprises des styles Louis XIV, Louis XV et Louis XVI et les premières tentatives de leur valorisation patrimoniale autour de 19004. Par ailleurs, les réactions dans la presse architecturale, la réimpression d’ouvrages comme L’Architecture française (1752-56) de Jacques François Blondel (à la fois répertoire des réalisations, souvent disparues, du xviiie siècle et mémoire d’une théorie et d’une pratique de l’architecture nationale sans bornes temporelles5) ainsi que certaines démarches inédites de défense et de protection6, accompagnent les premiers essais d’érudition dans le milieu universitaire. Dans ces essais, une attention particulière à l’architecture se manifeste dans le cadre d’une plus large approche scientifique de la culture et de l’art de cette période de l’histoire de France. En témoignent les travaux qu’Henry Lemonnier publie entre les années 1890 et la première décennie du xxe siècle, travaux qui résument son enseignement à la Faculté des lettres de Paris et qui suscitent l’intérêt de Hautecœur, jeune normalien, pour l’art et l’architecture de la période moderne7. En témoignent aussi les dépouillements d’archives qui, à côté de l’étude des bâtiments eux-mêmes, révèlent un nouvel intérêt pour les documents. Depuis les années 1880, le corpus de l’architecture des xviie et xviiie siècles est reconnu comme objet d’étude à part entière de l’histoire en tant que discipline, comme le montrent, dès 1881, le dépouillement et la publication systématiques, par Jules Guiffrey, des comptes des bâtiments du roi sous le règne de Louis XIV8.
3Trente ans plus tard, en 1911, l’édition des procès-verbaux de l’Académie d’architecture, par les soins de Lemonnier lui-même, confirme cette attention aux sources9. Entre-temps, l’intérêt porté aux documents restituant la dimension de l’architecture de cette période à l’échelle d’une agence avait produit un témoignage majeur : la publication par Pierre Marcel, en 1906, de l’inventaire analytique des papiers de Cotte conservés au cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale, sujet de sa thèse de doctorat à l’université de Paris10. C’est la consultation de cet ouvrage pendant ses études à l’école normale supérieure de Paris (1905-1908) qui amena Hautecœur à l’histoire de l’architecture française de la période moderne. L’introduction de Pierre Marcel annonce d’ailleurs quelques points forts de ce que sera l’approche historique de l’architecture par Hautecœur, qu’il faut mettre en relation avec ce mouvement de connaissance qui, au début du xxe siècle, au-delà du répertoire formel et des témoignages bâtis, tire désormais parti de l’étude des plans, des croquis, des relevés, des marchés, des devis, de la correspondance, bref, de tous les documents qui restituent la pratique de l’architecture à une époque donnée. Parmi ces points forts, il y a d’abord la volonté de rectifier une historiographie longtemps attachée à la valorisation de l’architecture médiévale au détriment de celle de la période postérieure. Pierre Marcel s’en prend ainsi aux « apôtres du Moyen Âge » et tout particulièrement à « Viollet-le-Duc et ses contemporains [qui] ont prêté aux hommes de la Renaissance et à leurs successeurs de la haine et du mépris pour l’art des siècles précédents, et [que] nous […] avons crus trop aveuglément11 ». Il réfute de même le mépris supposé des architectes des xviie et xviiie siècles pour l’architecture du Moyen Âge en s’appuyant sur des documents de l’agence de Robert de Cotte, qui montrent l’architecte reconstruisant « en formes ogivales » le portail de la cathédrale d’Orléans, rebâtissant dans des formes prétendues « gothiques » l’église de l’abbaye de Poissy ou concevant « l’arc-boutant comme moyen de butée, à la chapelle de Versailles12 ». La question de la périodisation se pose déjà dans cette approche. Elle conduit à interroger la définition d’« architecture classique » telle que Hautecœur l’appliquera à toute la période comprise entre les xvie et xixe siècles, en donnant toutefois la première place à ce règne de Louis XIV dont l’architecture – Pierre Marcel le souligne – ne saurait pourtant être confondue avec celle du xvie siècle. Lorsqu’il affirme qu’« aucune révolution […] n’a profondément modifié l’art architectural du xvie siècle à nos jours », ou que « notre système constructif est encore celui de Philibert de L’Orme, et [que] les ordres forment toujours le fondement de notre décoration », ou encore que « les transformations, dans le style, se sont produites lentement, par une évolution à peine sensible, et [qu’]elles n’affectent guère que la distribution intérieure et le détail de la décoration13 », Pierre Marcel exprime des orientations qui évoquent nettement le tableau de l’Histoire de l’architecture classique en France que Hautecœur ébauchera entre les années 1910 et les années 1920.
3. Fig. 579 « Médéric Mieusement, photographie du collège des Jésuites à Chaumont, en Haute-Marne (terminé vers 1640) »Publiée dans Louis Hautecœur, Histoire de l’architecture classique en France, t. I, Paris, Picard, 1943.

Nef de la chapelle prise de l’autel en septembre 1888, 39 x 27,5 cm.
Médiathèque de l’architecture et du patrimoine/Archives photographiques, cl. n° 4317 © RMN.
4. Fig. 209 « Emmanuel-Louis Mas, photographie d’une maison, rue du Cardinal Morlot à Langres en Haute-Marne (vers le milieu du xvie siècle) »Publiée dans Louis Hautecœur, Histoire de l’architecture classique en France, t. I.

Façade sur le jardin, avant 1937, 17 x 22,5 cm.
Médiathèque de l’architecture et du patrimoine/Archives photographiques, cl. n° 110427 © RMN.
L’architecture classique dans et hors les frontières : l’exemple britannique4Une approche comparative à l’échelle internationale permet de mesurer, dès la fin du xixe siècle, la concomitance de la catégorie « architecture classique » dans la recherche historique, dans le champ de la protection du patrimoine et dans la critique architecturale14. Nous avons choisi ainsi de faire place dans ce catalogue à une analyse de la notion de classicisme dans le contexte britannique. L’essai de Michela Rosso illustre l’évolution d’un véritable canon historiographique dans l’histoire et la théorie architecturales en Grande-Bretagne, entre le dernier quart du xixe et la première moitié du xxe siècle. Visant à la fois l’approche historique et critique et son lien avec la construction des villes et la conservation du patrimoine bâti, cet essai retrace l’histoire des interprétations multiples et contradictoires de l’héritage de l’architecture classique Outre-Manche. La structure et les contenus du projet de Hautecœur s’éclairent d’ailleurs quand on les compare à l’approche britannique du classicisme. C’est en Grande-Bretagne qu’apparaissent les précédents les plus voisins et les plus significatifs de l’Histoire de l’architecture classique en France. William Henry Ward et Reginald Theodore Blomfield sont les auteurs, entre 1911 et 1921, de deux histoires de l’architecture française qui, à partir de la notion ébauchée d’une « longue Renaissance » entre le xvie et le xviiie siècle, fournissent à Hautecœur l’idée d’un cycle historique qu’il n’hésitera pas, une génération plus tard, à développer jusqu’à y inclure le xixe siècle dans sa totalité15. C’est d’ailleurs sur le plan de la valorisation des héritages nationaux que la comparaison entre le travail de Hautecœur et les différentes approches britanniques s’avère intéressante. Elle confirme d’une part la cohérence extrême, d’autre part la fixité du projet de l’historien français tout au long de sa carrière. Au début du xxe siècle, à la production commune d’un discours historique associant l’architecture classique à l’élaboration d’une identité de l’architecture contemporaine et à la défense de l’héritage de l’architecture nationale, correspondent différentes valeurs attribuées à la tradition classique dans les deux pays. Alors qu’en Angleterre le mouvement Arts and Crafts peut encore rejeter le modèle classique en tant qu’étranger à la culture architecturale nationale16, l’attention au patrimoine des xviie et xviiie siècles et donc à une tradition classique nationale liée à l’absolutisme monarchique, s’impose en France comme un aspect de la légitimation culturelle du nouveau régime républicain. Et si, pour expliquer la généalogie d’un architectural design caractérisant l’architecture anglaise depuis la Renaissance, Blomfield oppose le « classique » du xviie siècle au « pittoresque » du xviiie et désigne Christopher Wren comme « le plus anglais de tous les architectes anglais17 », en France la période historique en question est perçue comme une phase plus homogène, se développant de façon linéaire, sans rupture. Lorsque, présentant l’histoire de l’architecture française moderne, Blomfield critique sans ménagement l’œuvre de Louis Le Vau et exprime, en revanche, son admiration pour Jacques François Blondel et Ange-Jacques Gabriel, maîtres de la composition et du dessin18, sa partialité n’échappe pas à Hautecœur19. Dans sa restitution de l’histoire de l’architecture moderne française, l’affrontement entre tendances classiques et romantiques, voire baroques, est perçu comme une suite d’oscillations ramenant ces dernières dans le sillage du classicisme national20. Hautecœur voit dans une approche rationaliste cartésienne l’élément qui assure la continuité de la pensée architecturale en France entre le Moyen Âge et la période moderne, et qui lui permet d’enchaîner même son développement du xixe jusqu’au xxe siècle. C’est à partir d’une réflexion sur l’art du Premier Empire, menée au début des années 1910, que Hautecœur s’attache à comprendre l’épuisement des formes classiques et à mettre pour la première fois en perspective historique l’architecture française du xixe siècle, l’apport complémentaire des « rationalistes » et des « éclectiques » étant au cœur de sa lecture21. Pourtant, lorsqu’il s’agit de saisir l’esprit de l’architecture classique au-delà des formes, sa définition rappelle celle du spirit of classical architecture de Blomfield. La façon même dont ce dernier repère les racines d’une attitude nationale originelle, notamment dans l’architecture du Moyen Âge (la cathédrale de Salisbury versus Notre-Dame de Paris), à partir d’une disposition en quelque sorte génétique des créateurs britanniques, évoque la démarche par laquelle Hautecœur remontera jusqu’aux origines de l’architecture française22.
5. Fig. 481 « Élévations du projet de place royale (place de la Concorde) de Ange-Jacques Gabriel (1753-55) »Publiée dans Louis Hautecœur, Histoire de l’architecture classique en France, t. III, Paris, Picard, 1950.

Dessin, 41,8 x 173,6 cm.
Archives nationales, VA/58, n° 46.
5 Sans tomber dans le chauvinisme que Blomfield manifestera dans son ouvrage Modernismus23, cette vision marquera néanmoins en France l’interprétation historiographique de l’architecture classique dans l’entre-deux-guerres. La référence à l’architecture classique fournira, notamment par l’action que Hautecœur mènera auprès du milieu des architectes de l’école des beaux-arts, une véritable et constante alternative aux débats en cours sur la modernité fonctionnaliste. Bien loin de ce qu’un historien comme John Summerson tentera en Angleterre au milieu des années 1930 en s’appuyant sur la tradition classique anglaise du xviiie siècle24, en France, où les Réunions internationales d’architectes ont cherché, depuis la première moitié de cette décennie, à définir une modernité différente de celle des Congrès internationaux d’architecture moderne (Ciam), le cycle historique du xvie au xixe siècle est appelé à témoigner de l’évolution d’une architecture d’abord « nationale » s’opposant au caractère « international » du mouvement moderne25. Le contexte profondément changé des lendemains de la Seconde Guerre mondiale souligne par ailleurs la ténacité de Hautecœur, tout en marquant les limites de son dessein historique. Au lendemain du conflit, après avoir été impliqué sur la scène politique et culturelle de Vichy26, après être intervenu dans le débat sur le logement à l’heure de la reconstruction, aucune évolution sensible des catégories historiographiques en jeu dans sa pensée ne se manifeste. Une fois de plus, la comparaison avec l’approche britannique est éclairante. La parution concomitante des tomes II à VII de l’Histoire de l’architecture classique (1948-1957) et du volume d’Anthony Blunt, Art and Architecture in France : 1500-1700 (1953), illustre, au-delà de tout clivage national, l’écart à la fois générationnel et culturel qui oppose deux manières de concevoir l’histoire de l’art et de l’architecture : aux modèles épistémologiques conçus à la fin du xixe siècle en France, auxquels Hautecœur reste attaché en identifiant un cycle historique national qui gomme toute complexité et tout affrontement, s’opposent les méthodes et les paradigmes culturels introduits depuis la seconde moitié des années 1930 en Angleterre par les historiens du Warburg Institute, dont l’influence fut essentielle pour Blunt27. Pour lui, François Mansart d’abord, Philibert de l’Orme ensuite, révèlent une complexité de la genèse du projet et de la personnalité du créateur, qui est le moteur de l’analyse historique, au-delà de toute catégorie sous-jacente.
L’architecture classique selon Hautecœur6On retrouvera dans ce catalogue ce qu’essaie de montrer l’exposition, et d’abord l’élaboration de la notion d’« architecture classique » que Hautecœur définit dès le début des années 1910, par son action et ses travaux d’historien28. Beaucoup d’expositions trouvent leur matière documentaire dans un seul fonds d’archives. C’est au contraire la pluralité des sources qui caractérise celle-ci : les quarante-cinq documents qu’elle regroupe proviennent en effet de cinq institutions différentes29. Leur unité tient au fait qu’ils restituent un véritable projet culturel, la volonté de Hautecœur de montrer les liens, voire la continuité, entre le passé et le présent de l’architecture française, dans le contexte de l’entre-deux-guerres. Ce qu’il fait en usant du critère discriminatoire qu’est pour lui la notion d’un classicisme sans frontières temporelles, dépassant le répertoire formel établi entre le xvie et le xviiie siècle.
7Les documents exposés permettent de comprendre la méthode historique et critique de Hautecœur. Dessins originaux, photographies et publications font l’objet (à quelques exceptions près) d’un découpage thématique en cinq volets30, qui montre comment l’historien a diffusé, par différents moyens, la notion polyvalente d’une architecture classique capable d’englober à la fois le gothique médiéval et la modernité récente. Les documents décrivent ainsi des stratégies d’édition et d’exposition.
6. Louis Hautecœur, L’Architecture française, Paris, Boivin, 1950, couverture.

INHA, 8 C 2096 (1).
8D’abord des stratégies d’édition. Dans l’élaboration du projet de Hautecœur, le livre d’architecture apparaît sous plusieurs formes, dont l’exposition rend compte31. Prolongeant un mouvement qui se manifeste dès les années 1900, Hautecœur contribue au travail de réimpression des recueils d’architecture du xviiie siècle avec la nouvelle édition de L’Architecture française publiée en 1727 par Jean Mariette32. La réédition de ce recueil qui avait précédé la codification d’une théorie architecturale par Blondel, manifeste un souci philologique qui dépasse l’engouement du tournant du xxe siècle. Hautecœur traite le recueil comme un objet d’étude historique, qu’il n’hésite pas à comparer aux « recueils » de l’époque contemporaine, c’est-à-dire surtout aux périodiques, qu’en tant que rédacteur en chef de la revue de la Société centrale des architectes, L’Architecture, il connaît particulièrement bien33.
9Parmi les documents exposés, les recueils d’architecture de la période moderne apparaissent aussi en tant que sources du commentaire iconographique de l’Histoire de l’architecture classique. Ces recueils contribuent à la constitution d’un répertoire visuel qui illustre une architecture souvent perdue ou fortement remaniée. Ainsi l’œuvre imprimée de Jacques Androuet du Cerceau et celle de Jean Marot témoignent d’une pratique qui concerne également les ouvrages de Blondel, de Mariette ou de Patte.
10Parallèlement, le livre est aussi l’outil de restitution d’un véritable inventaire, à la fois savant et vulgarisateur, du patrimoine artistique national de toutes les époques, selon un découpage à l’échelle régionale. Après le travail entamé dès 1876 par la Commission de l’inventaire des Richesses d’art de la France, sous la direction du marquis de Chennevières, directeur des Beaux-Arts34, le projet d’une série de volumes consacrés d’abord aux « Trésors », puis aux « Richesses d’Art de la France », mis au point par Hautecœur et l’éditeur Van Oest au milieu des années 192035, relance et réoriente l’idée d’un répertoire patrimonial, comme le montre la présentation du projet, qui prévoit une parution par fascicules rassemblés ensuite en volumes. Il s’agit d’un projet ambitieux par sa volonté de couvrir tout le territoire national et par sa haute qualité éditoriale, qui contraste avec l’idée d’une large diffusion. Seuls verront le jour les trois volumes traitant la peinture, la sculpture et l’architecture en Bourgogne, ce dernier sujet étant pris en charge par Hautecœur (1927-1929)36. La construction d’un répertoire analytique du patrimoine demeure néanmoins à la base de l’Histoire de l’architecture classique en France.
7. Prospectus de souscription de la collection Les Trésors d’art de la France, Librairie Nationale d’Art et d’Histoire. G. Vanoest, éditeur.

Bibliothèque de l’Institut de France/Papiers Louis Hautecœur, ms 6925, ff. 4-5 © RMN.
11La genèse et l’aboutissement du projet conduisant à cet ouvrage majeur attestent de son lien multiple avec l’architecture du livre. En fait, l’un de ses aspects les moins remarqués est qu’il se concrétise à la fois dans la forme éditoriale de l’ouvrage analytique (manuel en plusieurs tomes) et de l’ouvrage de synthèse (précis). C’est pourtant cet aspect qui permet d’apprécier à sa juste valeur l’entreprise de vulgarisation de la notion d’architecture classique mise en œuvre par Hautecœur. Si le manuel historique en plusieurs tomes s’adresse surtout aux spécialistes, le précis vise un public plus large et engage directement les enjeux d’un cycle historique plongé dans une perspective temporelle enchaînant le présent et le futur de l’architecture. Le précis apparaît ainsi sous plusieurs formes et à plusieurs reprises dans le travail de Hautecœur. Deux synthèses paraissent en 1941 et en 1950, dont la seconde embrasse l’histoire de l’architecture française depuis ses origines jusqu’à l’actualité. Dès 1920, le projet éditorial d’un abrégé s’impose, jusqu’à anticiper le projet et la parution de l’ouvrage en plusieurs volumes37.
12Pour les volumes de l’Histoire de l’architecture classique, nous avons voulu susciter, grâce aux documents exposés, une réflexion spécifique sur le rôle de l’iconographie utilisée par l’historien. Le récit de l’architecture classique à travers les images est tout à fait parallèle à son récit par l’écriture et ne lui correspond qu’en partie. Cette iconographie est un répertoire documentaire en soi. Il renvoie aux sources auxquelles Hautecœur s’attache en tant qu’érudit et chercheur : les estampes et les gravures, voire les recueils, dont Les Plus excellens bastimens de France d’Androuet du Cerceau et le Recueil d’architecture de Marot sont donnés en exemple ; mais aussi les fonds de dessins, comme en atteste l’ensemble exposé (dessins de Le Vau, d’Orbay, Hardouin-Mansart, Gabriel, Chalgrin) provenant de l’ancien fonds des archives des Bâtiments civils systématiquement exploité pendant l’entre-deux-guerres38 ; et les photographies, dont attestent les campagnes organisées par la Commission des monuments historiques : celles des années 1870 et 1880 (Mieusement), qui révèlent l’attention portée, pour la première fois, à l’architecture de la fin du xvie siècle et du xviie siècle, et celles de l’entre-deux-guerres (Estève, Mas), où l’enquête à l’échelle locale s’étend davantage.
8. Aile ouest de la cour carrée du Louvre de Pierre Lescot, partie gauche (1546-58).Publiée dans Jacques Androuet du Cerceau, Le premier volume des plus excellens bastimens de France. Auquel sont designez les plans de quinze bastimens, & de leur contenu : ensemble les elevations & singularitez d'un chascun. A Paris, Pour le dit Jacques Androuet, du Cerceau, 1576, s.p.

INHA, Fol Res 538 (1).
13Le double aboutissement éditorial du grand dessein de Hautecœur s’annonce dans deux livres consacrés à un seul bâtiment, qui à lui seul résume ce dessein. L’histoire du Louvre, « château, palais, musée », à laquelle dès les années 1920 Hautecœur, conservateur du musée et professeur à l’école du Louvre, consacre toute son attention – et qui fait l’objet de ses recherches les plus avancées sur la période de Louis XIV –, fournit un véritable modèle de l’histoire de l’architecture classique39.
9. Fig. 124 « Édouard Baldus, photographie de la construction des guichets, du pavillon La Trémoille et du pavillon des États, d’Hector-Martin Lefuel, décembre 1865 ».Publiée dans Louis Hautecoeur, Histoire du Louvre. Le château, le palais, le musée des origines à nos jours (1200-1928), Paris, L’Illustration, 1928, p. 103.

Archives nationales, 64 AJ 286, 28, n° 20-24.
10. « Palais du Louvre et des Tuileries (plan historique) »Publié dans Louis Hautecoeur, Histoire du Louvre. Le château, le palais, le musée des origines à nos jours (1200-1928), Paris, L’Illustration, s.p.

INHA, 4 F 203.
14Cette importance du livre dans les stratégies éditoriales de Hautecœur, inclut les catalogues d’exposition. Listes de dessins et d’architectures bâties, qui peuvent illustrer à la fois l’architecture de la période moderne et l’architecture de son temps, ils montrent la complémentarité entre le répertoire analytique de documents et la synthèse de textes introductifs où Hautecœur présente la notion d’architecture classique aux xviie et xviiie siècles et au-delà40.
11. Louis Hautecœur, « Projet d’une salle de spectacle par N.-M. Potain (1763) », L’Architecture, t. XXXVII, n° 3, 10 février 1924, p. 34-35.

INHA, 4 PER RES 64.
15Les stratégies d’édition recoupent donc des stratégies d’exposition qui précèdent et fondent le développement du projet de l’Histoire de l’architecture classique en France. La construction d’un cycle historique qui réunit « l’œuvre des grands architectes français, depuis 1671, date de la fondation de l’Académie royale d’architecture, jusqu’à la période contemporaine41 », passe par la mise en scène de cette « œuvre » : d’abord à Strasbourg, en 1922, lorsque cette construction est clairement présentée ; ensuite à Paris, en 1923, lorsqu’on célèbre son pivot chronologique, les xviie et xviiie siècles, l’âge d’or du classicisme architectural en France ; enfin dix ans plus tard, et encore à Paris, en 1933. Cette année-là, une exposition patronnée par l’Association française d’expansion et d’échanges artistiques et par la Société des architectes diplômés par le gouvernement, présente une architecture française contemporaine à la fois « classique » et « moderne » ; ses reprises à l’étranger en soutiendront le rayonnement42. Notre sélection de photographies provenant du fonds de cette exposition renvoie à ce dernier chapitre, qui dessine les modernités possibles, réunies parfois dans la production d’un seul architecte43. Par ailleurs, on ne peut pas séparer ce rôle confié par Hautecœur aux expositions de l’intérêt qu’il montre alors pour diverses manifestations de la modernité. Pour lui, les nouveaux musées d’Art moderne de l’avenue du Président Wilson, conçus à l’occasion de l’Exposition internationale de 1937, à Paris, et les projets contemporains de sanatoriums que Pol Abraham et Henry-Jacques Le Même réalisent en Haute-Savoie, indiquent, sans contradiction, la même voie conduisant à un classicisme renouvelé44, et ce classicisme « moderne » trouve son expression la plus remarquable dans l’architecture de Tony Garnier et des frères Perret45. Les projets de ces derniers pour le théâtre de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes et pour l’église Sainte-Jeanne d’Arc, à Paris, permettent à Hautecœur de prendre, dès le milieu des années 1920, une position résolue sur l’architecture contemporaine et sur le rôle que la notion d’architecture classique peut encore y jouer.
12. Photographie anonyme, Vue nocturne du musée des Colonies (palais de la Porte dorée) d’Albert Laprade et Léon Jaussely (1927-31), Paris, s.d.

DAF / Cité de l’architecture et du patrimoine/Archives d’architecture du xxe siècle, SADG-LAPR-3, B. 5, 179 Ifa 5/3, cl. n° 127. Avec l’aimable autorisation d’Arlette Laprade.
13. Photographie anonyme, Vue nocturne du garage Citroën, d’Albert Laprade et Léon Bazin (1928-29), rue Marbeuf, Paris, s.d.

DAF / Cité de l’architecture et du patrimoine/Archives d’architecture du xxe siècle, SADG-LAPR-3, B. 5, 179 Ifa 5/3, cl. n° 104. Avec l’aimable autorisation d’Arlette Laprade.
14. Élévation, quai de Tokyo, Musées d’Art moderne (palais de Tokyo), de Jean-Claude Dondel, André Aubert, Paul Viard et Marcel Dastugue (1934-37).

Paris, 18 novembre 1935, 35,7 x 128 cm.
Archives nationales, F12 12787, dessin 39, n° d’entr. 191.
15. Perspective de la façade principale du sanatorium Martel de Janville, de Pol Abraham et Henry-Jacques Le Même (1935-1937).

Plateau d’Assy, Passy, en Haute-Savoie, 103,5 x 138 cm.
Musée national d’art moderne, Fonds P. Abraham, E 2281-7, Inv. AM 2006-2-92 © RMN.
16. Lettre de Paul Jamot à Louis Hautecœur, 12 août 1926.

Bibliothèque de l’Institut de France / Papiers Louis Hautecœur, ms. 6898, ff. 272-273 © RMN.
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