Les Colonnes Du Temple - Wikisource

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Apparence déplacer vers la barre latérale masquer Télécharger La bibliothèque libre. Les Colonnes du TempleLes Symboles, première sérieCharpentier, 1888 (p. 83-95).◄  Consolez-vousIstar  ►collectionLes Colonnes du TempleMaurice BouchorCharpentier1888ParisCLes Colonnes du TempleBouchor - Les Symboles, première série.djvuBouchor - Les Symboles, première série.djvu/983-95 

Les Colonnes du Temple

  Un soir qu’il priait seul et triste, Salomon, Dont l’anneau d’or commande aux forces du Démon, Vit briller tout à coup d’une clarté livide La maison du Seigneur silencieuse et vide. Tout s’animait, le bois, la pierre, le métal. Comme un ressouvenir du vieux Liban natal Qui jadis écoutait bruire leurs ramures, Dans les cèdres taillés glissèrent des murmures ; Et, laissant deviner l’arche heureuse, à travers Une blanche nuée aux flancs rouges d’éclairs, Le saint des saints ouvrit ses portes toutes grandes. Un vent faible semblait agiter les guirlandes, Les palmes, les fruits d’ondes lambris ciselés. Alors les grands Kéroubs, les deux monstres ailés,

Sculptés dans le bois dur d’un olivier sauvage, Comme s’ils secouaient leur pesant esclavage Frémirent sous les yeux terrifiés du roi ; Et sur l’arche paisible où sommeille la Loi Que la main du Seigneur écrivit dans la pierre, Les deux taureaux, avec des ailes de lumière, Libres, transfigurés, ronflant des jets de feu, Planèrent en chantant la force de leur Dieu. Or, craignant de mourir en ce moment, le sage Dans les flots de sa pourpre abritait son visage ; Mais une voix profonde et lente s’éleva, Qui remplit le palais où rêve Jéhova. Une autre répondit, et les deux voix mystiques Dans le vaste silence alternaient leurs cantiques. Et le roi, frissonnant d’épouvante, comprit Qu’il entendait mugir, au souffle d’un Esprit Déchaîné dans les lis d’airain de leurs couronnes, Iakîn et Boaz, les deux fermes colonnes Qui, soutenant le front du temple aimé de Dieu, Gardent fidèlement la porte du saint lieu.

IAKÎN

Salomon est comblé de richesse et de gloire. Dans la montagne an voit fourmiller ses brebis. Douze lions aux jeux flamboyants de rubis Rampent sur les degrés de son trône d’ivoire, Ses flottes, revenant de la brûlante Ophir, Lui portent le sandal, la perle et le saphir. Il n’a point d’ennemis. Quand le roi fait un signe, Les émirs les plus fiers se courbent à ses pieds. Tout est calme. Israël travaille dans sa vigne Ou rêve à l’ombre des figuiers.

BOAZ

Salomon a reçu la claire intelligence. La lointaine Tarsis connaît le nom du roi ! Le crime, devant lui, balbutiant d’effroi, Abandonne sa tète à la juste vengeance. Le maître, en souriant, nomme les fleurs de Dieu, Les bêtes de la mer, des champs ou de l’air bleu. La reine de Saba, qui le craint et l’admire, Vint à lui du pays embaumé par l’encens Et présenta l’or pur, le cinname et la myrrhe Au roi sage entre les puissants.

IAKÎN

Mais, devant le Seigneur, que le pouvoir est frêle 1 Le roi possède-t-il les trésors de la grêle Ou peut-il ébranler les portes de la mort ? Mérodak, As tarte, Baal sont des fantômes. Seul, tu vis, et ta main pèse sur les royaumes, O Jéhova, semeur des étoiles, Dieu fort !

BOAZ

Devant le seul Voyant qu’importe la science ? Le sage dira-t-il en son impatience : « Parais, soleil ! voici ta route, lève-toi ! » A-t-il vu de ses yeux la matrice profonde ? Sait-il quelle est la pierre angulaire du monde ? Quand Dieu fonda le sol, où donc était le roi ?

IAKÎN

Salomon, dans le sanctuaire, A revêtu d’or fin le cèdre et le cyprès, Et par de splendides apprêts Il fait descendre ici le Dieu de sa prière. Mais le roi Jéhova chevauche la lumière, Son char a l’éclair pour sentier,

Il s’élève au-dessus du firmament sublime ; Le ciel des cieux, l’immense abîme Ne peut pas contenir l’Éternel tout entier !

BOAZ

Salomon reçoit les hommages De l’Euphrate et du Nil, de Byblos et de Tyr, Et sa gloire fait retentir La solitude calme où méditent les Mages. Mais l’esprit se repaît de grossières images ; Son labeur est stérile et vain. Dans le gouffre terrible où te voilà lancée, Houle, infatigable pensée : Tu n’iras pas au fond du mystère divin !

IAKÎN

Or, au commencement, Dieu rêvait solitaire. Soudain, l’Éternel fut debout Et, par sa volonté, fit le ciel et la terre ! Rien n’était visible : partout Les ténèbres. Mais Lui, sa parole fit naître La lumière, à flots d’or, des gouffres du néant. Tout a jailli de rien ! Peux-tu comprendre, ô maître Qui connais l’humble hysope et le cèdre géant ?

 

BOAZ

Non. L’Être primitif, ignorant de lui-même, Languissait dans l’illimité. Mais voilà qu’il frémit : par un effort suprême, Lentement il s’est contracté. Dieu, baigné par le vide, alors peut se connaître : Il rayonne à travers les cieux vastes et froids. Tout l’univers, c’est Dieu ! Peux-tu comprendre, ô maître Qui devines si bien les énigmes des rois ?

IAKÎN

Le souffle de sa narine Fit tressaillir le limon ; C’est lui qui dans ta poitrine Mit une âme, ô Salomon. Il travaille sans relâche A son éternelle tâche. L’impie entendra le bruit De sa flèche d’or qui vibre ; Hors du monde, seul et libre, Il vous crée et vous détruit.

BOAZ

Non. Les êtres et les choses De son sein coulent à flots ; Leurs lentes métamorphoses Ne troublent pas son repos.

Roi, la vie universelle De son large cœur ruisselle ! Il habite une cité Qui confond l’esprit de l’homme. Point de colère. Il se nomme La forte nécessité.

IAKÎN ET BOAZ

Une guerre implacable engendre l’harmonie. La foi du cœur résiste à la raison qui nie. Le temple du Seigneur a deux piliers d’airain : Qu’un seul manque, tout croule, et Jérusalem tremble. Iakîn et Boaz vous bénissent ensemble, Equilibre du monde, ô paix du ciel serein !

IAKÎN

Ecoute. Dieu repose en, l’unité première. Mais, sous l’informe nuit, tressaille la lumière ; Tout naîtra : l’eau, le feu, la terre, l’air subtil. Dieu brûle d’épancher son cœur. Laissera-t-il Les splendeurs de la vie à jamais ignorées ? Non. Voici qu’au-dessus des ténèbres sacrées Emerge lentement un rouge cercle d’or. Le visage de Dieu n’apparaît pas encor.

BOAZ

Son essence cachée à vos faibles extases, Palpite contenue en de merveilleux vases. De plus en plus visible, elle devient esprit, Justice, amour, beauté. Dieu s’éveille et sourit. Il respire avec joie en des millions d’âmes. La Rose de lumière épanouit ses flammes. Ainsi le monde en fleur, l’empire des sept cieux Émane tout entier du Roi silencieux.

IAKÎN

Quand l’Être unique, ceint du brûlant diadème, Nous dérobe sa face et médite en lui-même, Que sous le nom d’Ancien des jours il soit chanté !

BOAZ

Mais lorsque, tout humain, son visage s’anime, Gloire au céleste Adam, médiateur sublime Entre la multitude et la sainte unité !

IAKÎN

Crains Dieu. Car l’Éternel est un puits d’amertume, Un lac mystérieux de soufre et de bitume Qui bouillonne et flambe à tes pieds.

Crains le Seigneur. Son nom terrible est la Justice. Tremble, ô royal pécheur, qu’il ne t’anéantisse Pour tes crimes inexpiés.

BOAZ

Aime Dieu, car il est la source précieuse ; Il jaillit comme une eau pure et délicieuse Loin de l’âpre chaleur du jour. Fait de miséricorde, il a pour nom la Grâce. Oh ! rafraîchis en lui ton âme ardente et lasse ; Cède à la force de l’amour.

IAKÎN

Lutte immortelle dans le monde ! La femelle, tordant ses reins, Mord le mâle qui la féconde Et lui, la traîne par les crins. Dieu, sans se lasser de l’ouvrage, Comme un taureau plein de courage Qui retourne le sol fumant, Laboure la matière immense ; Et la matière en sa démence Lui résiste éternelle

ment.

BOAZ

Michaël, l’invincible archange, Repousse d’un pied lumineux Dans les abîmes de la fange Satan qui l’étreint de ses nœuds. Il brandit une claire épée Dans le cœur du soleil trempée ; Mais Fange du mal, Lucifer, Qui sans fin lutte et se relève, Oppose aux morsures du glaive Un sombre bouclier de fer.

IAKÎN

Ainsi que toute chose, homme, ta vie est double. Ton cœur veut se connaître et cherche, plein de trouble.

BOAZ

Quand la soif du bonheur brûle ta gorge en feu : « Souffre, dit une voix secrète, et pense à Dieu. »

IAKÎN

La terre s’est épanouie Comme un visage radieux. O magnificence inouïe Des mers, des vallons et des cieux !

Rien n’est vrai que d’être joyeux. Et voici que tes mille amantes, Pour éblouir tes faibles yeux, Dansent légères et charmantes.

BOAZ

Je vois le Juste. Il est cloué Sur l’arbre infâme du supplice. Sois éternellement loué, Toi qui vides l’amer calice Pour que le salut s’accomplisse ! Pendant des siècles l’homme en pleurs, Mordu par les crins du cilice, Va s’enivrer de tes douleurs.

IAKÎN

Les âmes spontanées Qui traversent le ciel dans leur puissant essor Avec un marteau d’or Forgent leurs destinées.

BOAZ

Une infrangible loi Etreint cruellement les volontés humaines. O Seigneur, tu les mènes ; Rien n’est libre que toi,

IAKÎN

Les ténèbres ne sont que lumière affaiblie. Salomon, une échelle invisible relie Les marais de l’enfer au ciel resplendissant. Dans les veines de tous circule un même sang. Chaque être se façonne une chair corruptible, La dépouille, et renaît. L’âme est indestructible. Tous, vous montez vers Dieu ; nul ne s’abîme en lui. Pas un seul être, ô roi, ne s’est évanoui Dans l’océan d’amour, de rêve et de silence. Vers la source ineffable, ami, ton cœur s’élance ? Va donc ; et, sans jamais satisfaire ton vœu, Gravis les échelons innombrables de Dieu !

BOAZ

Ta pureté divine un jour te fut ravie. Te voici détaché de l’arbre de la vie ; Tout ce qui n’est pas Dieu, c’est le mal. Ne peux-tu, Par l’extase, monter plus haut que la vertu ? Quand donc seras-tu las de mourir et de naître ? Salomon, une voix crie au fond de ton être. L’Éternel te réserve un plus rare trésor Que le glaive de l’ange et le bouclier d’or.

Viens, échappe aux clameurs stridentes de la lutte ! Celui qui chérissait ton âme avant la chute Ne fêtera-t-il pas le moment du retour ? Va te perdre à jamais dans les flots de l’Amour !

IAKÎN ET BOAZ

Que dis-tu maintenant, toi qui croyais comprendre ? L’ardente Vérité te réduirait en cendre. Ferme tes misérables yeux ! Nul ne connaît le Roi des célestes armées. Nul n’a vu, sans mourir, les lettres enflammées Du nom saint et mystérieux. Tout redevint silence ; et la blême lumière Cessa d’envelopper la maison de prière. Le saint des saints s’était refermé lentement. L’aube indécise allait éclore au firmament ; Et le roi, dans le temple obscur et solitaire, Gisait anéanti, la face contre terre.

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