Neuromythe #6 : Apprendre En Dormant - Cortex Mag
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2 septembre 2021
Clara Saleri et Malo Renaud d'Ambra
8 minutes
C’est le fantasme de tous les étudiants : que d’efforts évités, que d’heures gagnées s’il était possible d’apprendre en dormant. Hélas, même si des études récentes ont montré que, dans certaines phases de sommeil, le cerveau était capable de retenir des sons simples ou de faire des associations sémantiques, on n’est pas près d’apprendre une langue étrangère en dormant.
Quel étudiant n’a rêvé d’apprendre ses cours sans efforts durant son sommeil ? Ce rêve porte un nom : l’hypnopédie. Cette méthode d’apprentissage repose sur l’hypothèse que notre cerveau serait capable d’assimiler des informations, diffusées par exemple par un système audio, durant le sommeil et de les restituer ensuite au réveil. L’hypnopédie a suscité beaucoup d’intérêt, tant de la part de chercheurs que d’écrivains ou scénaristes. On la retrouve ainsi dans plusieurs ouvrages de science-fiction. Parmi les plus connus, nous pouvons citer Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1932), roman dystopique dans lequel les enfants sont soumis à une éducation hypnopédique afin d’être conditionnés. Qu’en est-il dans la réalité ? Au risque de décevoir nos plus jeunes lecteurs, on n’est pas près d’apprendre une langue étrangère en dormant, mais des études récentes montrent que, dans certaines phases du sommeil, notre cerveau n’est pas tout à fait endormi…
Une théorie qui s’est développée dans le contexte de la Guerre froide
Si la théorie de l’hypnopédie est apparue au début du XXe siècle, elle s’est fortement propagée en Europe de l’Est après la Seconde Guerre mondiale, dans le contexte de la Guerre froide. Des espions envoyés dans des pays occidentaux auraient, prétendait-on, appris les langues ainsi que les us et coutumes nécessaires à leur mission pendant leur sommeil. De nombreuses études soviétiques ont ensuite fleuri sur le sujet. Le chercheur tchèque Hoskovec, qui en a fait un résumé en 1966, décrit ainsi les expériences de Svyadoshch (1962) qui révèlent que 65% des élèves testés sont capables de percevoir un discours pendant leur sommeil puis de le reproduire avec un niveau important de fidélité une fois réveillés. D’autres chercheurs russes de la même époque rapportent qu’il est possible de mémoriser, reconnaître et reproduire des mots dans une langue étrangère (anglais ou latin) avec leur équivalent en langue natale (russe) pendant le sommeil.
Au même moment, de nombreuses études établissent un lien étroit entre sommeil et consolidation de la mémoire. Cela suffit à nourrir des fantasmes. Certaines entreprises saisissent l’opportunité en proposant des programmes d’apprentissage pendant le sommeil. Aujourd’hui encore, on peut trouver sur le web des podcasts et des vidéos qui proposent un enregistrement audio à écouter pendant le sommeil pour apprendre une langue étrangère, par exemple. Fausses promesses, évidemment… Mais que disent les neurosciences de l’hypnopédie ?
Des études soviétiques comportant de nombreuses limitations méthodologiques
Premier constat : les études des années 50-60 comportaient de nombreuses limitations méthodologiques. Ainsi, l’état de sommeil des sujets n’était déterminé qu’à partir de la respiration et de l’activité musculaire des sujets. Par ailleurs, les informations à retenir étant diffusées aux sujets à l’endormissement ou bien juste avant le réveil, il est fort probable que ces derniers n’étaient pas profondément endormis et étaient donc, d’une certaine façon, encore conscients.
Dans les années 1990, des études (Bootzin et al., 1990 ; Wood, 1992) ont été réalisées sur l’apprentissage durant le sommeil avec un contrôle strict de l’état du sommeil par électroencéphalographie (EEG). Rappelons qu’on distingue plusieurs types de sommeil (sommeil lent et sommeil paradoxal), chacun étant défini par des caractéristiques neurophysiologiques spécifiques. Hélas, aucun résultat en faveur de l’apprentissage pendant le sommeil n’a été mis en évidence par ces études. Il semble que l’apprentissage nécessite un environnement neurochimique spécifique, lequel n’est pas retrouvé au cours du sommeil, du fait de la plus faible excitabilité des neurones.
Une étude suisse a montré que le cerveau était capable de faire des associations sémantiques lors des pics des oscillations lentes
Toutefois des recherches récentes sont venues fissurer ce consensus. Des études (Andrillon et al., 2017 ; Farthouat et al., 2018) ont ainsi montré que le cerveau pouvait retenir des sons simples ou bruits répétés lors de certaines phases du sommeil. Un résultat corroboré par une étude de l’université de Bern, publiée en 2019, indiquant qu’il serait possible d’apprendre lors du sommeil lent. En effet, Züst et ses collègues ont réalisé des exercices d’apprentissage lors des pics des oscillations lentes (ondes thêta), qui reflètent une plus grande excitabilité des neurones. L’expérience consistait en ce que les chercheurs associent un mot inventé à un mot existant. Ces mots ont ensuite été diffusés aux participants lors des pics des oscillations thêta. Une fois réveillés, il leur était demandé d’indiquer si l’objet associé au mot inventé pouvait entrer ou non dans une boite à chaussures. Résultat : le taux de bonnes réponses était supérieur au hasard. Bien que nous soyons encore loin de l’apprentissage du vocabulaire d’une langue étrangère, ces résultats indiquent qu’il serait tout de même possible de retenir des informations présentées pendant le sommeil lent. Les chercheurs se demandent à présent si cet apprentissage pourrait interférer avec les mécanismes de consolidation de la mémoire lors du sommeil.
Apprendre étant souvent synonyme d’effort cognitif, il est normal de rêver d’apprentissage inconscient au cours du sommeil. En attendant que ce rêve devienne réalité, vous pouvez toujours appliquer une recette qui a fait ses preuves : repasser vos listes de verbes irréguliers ou vos déclinaisons avant de vous coucher. En facilitant le travail de consolidation de la mémoire, cet exercice permet de mieux assimiler de nouvelles connaissances. Moins spectaculaire mais efficace…
En finir avec les neuromythes
«Nous n’utilisons que 10% des capacités de notre cerveau», «A chacun son style d’apprentissage», «Tout se joue avant 3 ans»… Nous croyons savoir beaucoup de choses sur le fonctionnement de notre cerveau. Et si ces idées reçues ne tenaient pas debout ? > Lire notre série
Bibliographie
J. Hoskovec (1966) Hypnopedia in the Soviet Union: A critical review of recent major experiments. International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis, 14:4, 308-315.
R. Bootzin et al. (1990) Sleep and Cognition.
J. M Wood et al. (1992) Implicit and Explicit Memory for Verbal Information Presented during Sleep. Psychological Science, 3(4), 236–240.
T. Andrillon et al. (2017) Formation and suppression of acoustic memories during human sleep. Nature Communications 8, 179.
J. Farthouat et al. (2018) Lack of frequency-tagged magnetic responses suggests statistical regularities remain undetected during NREM sleep. Scientific Report 8, 11719.
M. A. Züst et al. (2019) Implicit Vocabulary Learning during SleepIs Bound to Slow-Wave Peaks. Current Biology 29, 541–553.e1–e7
T. Schreiner & B. Rasch (2015) Boosting Vocabulary Learning by Verbal Cueing During Sleep. Cerebral Cortex 25(11):4169-79.
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apprentissagehypnopédiemémoiresommeilChercheur(s)
Doctorante au sein de l'équipe ImpAct au Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Son sujet de thèse : «Rôle des ganglions de la base dans l’intégration des coûts temporels et énergétiques moteurs pendant la prise de décision», sous la supervision du Dr David Thura.
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Clara Saleri
Professeur de physiologie à la faculté de médecine de Lyon. Ses recherches concernent la plasticité cérébrale liée à nos interactions avec notre environnement physique et social. Il anime l'équipe Trajectoires du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL) dont les thématiques concernent l'exploration des fonctions perceptives, motrices et cognitives, notamment en lien avec la rééducation fonctionnelle.
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Yves Rossetti
Laboratoire
Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)
Le CNRL rassemble 14 équipes pluridisciplinaires appartenant à l’Inserm, au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat neuronal et moléculaire des fonctions cérébrales, des processus sensoriels et moteurs jusqu'à la cognition. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.
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