Skip to main navigation Évaluer la menace vitale et éliminer d’abord une cause pré- ou post-rénale L’insuffisance rénale aiguë désigne une baisse aiguë (dans les 7 jours précédents) du débit de filtration glomérulaire (DFG). À l’état d’équilibre, ce dernier est estimé par des index mathématiques intégrant la concentration de créatinine plasmatique (créatininémie) ; en situation de déséquilibre (insuffisance rénale aiguë), il est impossible à estimer. À titre d’exemple caricatural : un sujet dont la créatininémie s’élèverait de 60 à 200 μmol/L en 24 heures après une binéphrectomie aurait évidemment une fonction rénale nulle (il est devenu anéphrique), mais le calcul de son DFG donnerait l’impression erronée qu’il garde une fonction résiduelle. Ce n’est qu’avec le temps que sa créatininémie serait en plateau à une valeur très élevée, et que l’estimation de son DFG serait juste (nul).L’insuffisance rénale aiguë n’est donc pas définie par une baisse du DFG estimé, mais par une élévation rapide de la créatininémie, en pratique d’au moins 0,3 mg/dL (26,5 μmol/L) en 48 heures, ou de 50 % de la valeur de base (si elle est connue) en moins d’une semaine. C’est le stade 1 de la classification des Kidney Disease : Improving Global Outcomes (KDIGO) établie en 2012 (tableau 1).1 Le stade 2 implique que la créatininémie ait doublé, le stade 3 qu’elle ait triplé. En soins intensifs, la diurèse peut également permettre de définir une insuffisance rénale aiguë à condition d’avoir éliminé une cause urologique qui expliquerait une « rétention » d’urine plus qu’une oligurie. Cette classification moderne et corrélée à la mortalité hospitalière permet de prendre au sérieux des variations minimes de la créatininémie, a fortiori chez des patients dont la valeur de base est peu élevée. La créatininémie à l’équilibre est en effet dépendante de la masse musculaire du sujet (elle est basse chez des sujets amyotrophiés), de son état de dilution (grossesse, expansion volémique en réanimation, etc.) ou en cas d’insuffisance hépatique associée (la créatinine étant un déchet musculaire produit par déshydratation de la créatine qui est, elle, de source hépatique).Avant d’entamer une démarche à la recherche de la cause de l’insuffisance rénale, la recherche et le traitement des urgences néphrologiques (hyperkaliémie, œdème pulmonaire de surcharge, acidose métabolique) sont incontournables.L’algorithme diagnostique devant une insuffisance rénale aiguë comprend plusieurs volets et intègre anamnèse, clinique, radiologie, biologie sanguine et urinaire, et évolution dans le temps.
Déterminer si l’insuffisance rénale est aiguë ou chronique
L’élévation de la créatininémie implique de disposer d’une valeur antérieure. S’il existe des dosages récents, on peut affirmer sans difficulté que l’insuffisance rénale est aiguë. Si ce n’est pas le cas, il faut considérer qu’une élévation de la créatininémie est aiguë jusqu’à preuve du contraire. Au-delà de 3 mois d’élévation de la créatininémie, on parle d’insuffisance rénale chronique. La classification de KDIGO permet de faire le diagnostic d’insuffisance rénale aiguë sur insuffisance rénale chronique (cette dernière est d’ailleurs un facteur de risque majeur d’insuffisance rénale aiguë). La recherche de dosages antérieurs de créatininémie implique souvent de contacter la famille, le médecin traitant, voire les laboratoires, cliniques et hôpitaux où le patient aurait été soigné préalablement.En l’absence de valeurs antérieures disponibles, les arguments (non spécifiques) qui font pencher le diagnostic vers une insuffisance rénale chronique plutôt que vers une insuffisance rénale aiguë sont : – la notion chez le patient ou son entourage de « maladie rénale » chez lui ou dans sa famille, et ses comorbidités (diabète, hypertension artérielle) ;– la présence d’une anémie normocytaire normochrome arégénérative et d’une hypocalcémie ;– surtout la taille des reins, évaluée par un échographiste expérimenté ou sur une tomodensitométrie. Leur taille est à rapporter à la taille du patient, mais des reins atrophiques (7 cm voire moins) ou au contraire très volumineux et siège de nombreux kystes (polykystose rénale) sont des indices d’insuffisance rénale chronique ancienne. La mauvaise différentiation entre le cortex et la médullaire rénale est également un signe non spécifique de chronicité. Lire aussi | Vrai ou faux sur l’item 110
La première cause à rechercher devant une insuffisance rénale aiguë est l’obstruction car, en cas d’obstacle sur les voies urinaires, leur drainage permet de faire régresser l’insuffisance rénale aiguë et peut mettre à l’abri des urgences néphrologiques.Les causes des insuffisances rénales obstructives sont dominées par les causes tumorales bénignes ou malignes (prostate, vessie, tumeurs gynécologiques [col de l’utérus et ovaire]), les lithiases et les causes neurologiques (défaut de vidange vésicale). Il faut donc différencier l’origine et l’obstacle : sus- ou sous-vésical. Si la vessie est pleine, on parle de rétention aiguë d’urines par obstacle sous-vésical. Si la vessie est vide mais que les cavités pyélocalicielles sont dilatées, il s’agit alors d’une anurie avec obstacle sus-vésical.L’insuffisance rénale aiguë obstructive est le plus souvent anurique, mais on peut observer des mictions par regorgement en cas d’obstacle sous-vésical (par exemple adénome de la prostate), une diurèse conservée en raison d’un obstacle incomplet, ou une diurèse « résiduelle » si les reins natifs d’un patient greffé excrètent encore de l’urine. Il faut donc systématiquement chercher un globe vésical, des signes fonctionnels urinaires obstructifs (dysurie, mauvaise vidange vésicale) ou irritatifs (pollakiurie). Dans le doute et en l’absence de signes infectieux, un sondage vésical d’épreuve peut être indiqué. Dans tous les cas il faut disposer d’une imagerie rénale à la recherche d’une dilatation des cavités pyélocalicielles : idéalement par échographie (non irradiante), sinon par une tomodensitométrie abdomino-pelvienne effectuée sans injection. Attention à ne pas confondre dilatation et hypotonie (par exemple un greffon rénal n’est pas innervé au receveur et sa voie urinaire n’a donc pas de « tonus »). Si les cavités sont dilatées de façon unilatérale, alors l’obstruction ne peut être responsable d’une insuffisance rénale aiguë qu’en cas de rein fonctionnel unique.Une absence de dilatation n’élimine pas totalement une cause obstructive. Là aussi, si la présomption est très forte (par exemple lithiase dans les cavités d’un rein unique), il ne faut pas hésiter à répéter les imageries. En effet, la dilatation des cavités peut apparaître secondairement. Dans certains cas on peut même discuter un drainage d’épreuve par sonde urétérale ou néphrostomie. Enfin, la dilatation peut être absente en cas de fibrose rétropéritonéale, cause rare mais au cours de laquelle les uretères enserrés dans la fibrose ne peuvent pas se dilater. En cas d’obstacle sous-vésical, le drainage des urines est effectué par sondage vésical ou par cathétérisme sus-pubien en cas de prostatite, sténose urétrale ou échec de sondage urétral.En cas d’obstacle sus-vésical, le drainage consiste en la mise en place de sonde(s) urétérale(s) par voie endoscopique rétrograde ou en la mise en place de néphrostomie(s) percutanée(s).Le drainage des urines est le plus souvent rapidement efficace et peut permettre d’éviter l’épuration extrarénale en l’absence de situations d’urgence vitale. Il peut toutefois se compliquer d’un syndrome polyuropolydipsique (dit « de levée d’obstacle ») qui doit imposer une surveillance très rapprochée de la diurèse afin de compenser les pertes dans les 48 premières heures. En cas d’obstacle chronique, avec amincissement cortical, l’absence de reprise de fonction est de mauvais augure. Lire aussi | Testez-vous sur l’item 110
Insuffisance rénale aiguë prérénale
Une fois l’obstruction éliminée, la cause dite « fonctionnelle » doit être évoquée. Il s’agit d’une altération de la fonction rénale par défaut de perfusion rénale, en contexte d’hypovolémie vraie ou « relative » : hypotension compliquant une insuffisance cardiaque ou hépatique évoluée, par exemple.Le contexte (troubles digestifs, pathologie de fond) et l’examen clinique (déshydratation en cas d’hypovolémie vraie, ou au contraire hyperhydratation en cas d’hypovolémie efficace) aident à poser le diagnostic. Le tableau 2 résume les anomalies biologiques attendues dans les tableaux « fonctionnels ». L’effondrement de la natriurèse et l’inversion du rapport Na/K urinaire traduisent l’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone, et la concentration des urines (élévation franche des rapports urine/plasma des concentrations de l’urée et de la créatinine) ainsi que celle de la vasopressine. Néanmoins, il existe des faux positifs et des faux négatifs à tous ces tests biologiques : par exemple, une insuffisance surrénalienne avec hypo-aldostéronisme donne une natriurèse conservée (c’est le mécanisme de la déshydratation) ou une glomérulonéphrite aiguë qui est associée à un effondrement de la natriurèse alors que la volémie est normale. C’est donc l’évolution de la fonction rénale après correction de l’hypovolémie qui permet d’établir un diagnostic d’insuffisance rénale aiguë fonctionnelle. Certains médicaments jouent un rôle aggravant au cours des insuffisances rénales aiguës fonctionnelles. En situation d’hypoperfusion rénale, le maintien de la filtration glomérulaire requiert ainsi l’action de prostaglandines vasodilatant l’artériole afférente (dont la production est empêchée par les anti-inflammatoires non stéroïdiens), et l’action de l’angiotensine 2 dont la production et l’effet biologique sont respectivement empêchés par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les antagonistes du récepteur de l’angiotensine 2. En bloquant un site de réabsorption du sodium, les diurétiques gênent la réponse rénale adaptée à une hypovolémie. En pratique ces médicaments sont souvent associés… Lire aussi | Dysfonction érectile (1re partie)
Insuffisance rénale aiguë parenchymateuse
Une fois les causes pré- et post-rénales éliminées, on retient l’atteinte organique du parenchyme rénal, dans un ou plusieurs compartiments : tubulaire, vasculaire, glomérulaire, ou interstitiel. Le tableau clinique, la quantité et la qualité de la protéinurie, l’activité du sédiment urinaire et la présence ou non de signes extrarénaux permettent, en milieu spécialisé, de formuler des hypothèses causales (tableau 3).En l’absence de signe extrarénal, a fortiori en cas d’hypotension récente (état de choc, chute de pression artérielle pendant une anesthésie générale, etc.) ou de prise de médicament néphrotoxique, il s’agit le plus souvent d’une nécrose tubulaire aiguë (le tube proximal est situé dans une zone physiologiquement peu oxygénée, et est donc très sensible aux agressions). L’imagerie (par résonance magnétique et échographie de contraste) a un intérêt pour rechercher des causes vasculaires, infarctus et nécrose corticale. Dans tous les autres cas, la biopsie rénale est discutée pour poser un diagnostic et établir une attitude thérapeutique.L’algorithme diagnostique (v. figure) devant une insuffisance rénale aiguë consiste donc, après avoir recherché une menace vitale, en l’élimination de causes pré- et post-rénales accessibles à des traitements simples (drainage, réhydratation, etc.). Si ces deux causes sont éliminées, la détermination d’une cause parenchymateuse (largement dominée en pratique par la nécrose tubulaire aiguë, notamment en contexte hospitalier) repose sur un faisceau d’arguments cliniques, radiologiques et biologiques, rénaux et extra-rénaux. La biopsie rénale reste le plus souvent indispensable chaque fois que l’insuffisance rénale aiguë est parenchymateuse et qu’une nécrose tubulaire aiguë est jugée improbable. Référence 1. Kidney Disease Improving Global Outcomes. PMID : 25018915. https://www.theisn.org/kidney-disease-improving-global-outcomes-kdigo
Dans cet article
Déterminer si l’insuffisance rénale est aiguë ou chronique
Classification KDIGO de l’insuffisance rénale aiguë
Stade
Créatinine
Diurèse
1
1,5 - 1,9 x la baselineouaugmentation ≥ 26,5 µmol/L
< 0,5 mL/kg/h pour 6-12h
2
2,0 - 2,9 x la baseline
< 0,5 mL/kg/h pour ≥ 12 h
3
3,0 x la baselineouaugmentation ≥ 353,6 µmol/Loudébut de l'épuration extrarénale ou chez patient < 18 ans, diminution du DFGe < 35 mL/min/1,73 m2
< 0,3 mL/kg/h pour ≥ 24 houanurie pour ≥ 12h
Tableau 1. DFGe : débit de filtration glomérulaire estimé ; KDIGO : Kidney Disease: Improving Global Outcomes.
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Arguments biologiques orientant vers une insuffisance rénale aiguë prérénale
Argument biologique
IRA fonctionnelle
IRA organique
Urée / créatinine plasmatique*
> 100
< 50
Nau
< 20 mmol/L
> 20 mmol/L
Na/K urinaire
< 1
> 1
Fraction excrétion du sodium**
< 1 %
> 2 %
U/P osmolarité
> 1
< 1
U/P créatinine***
> 30
< 30
U/P urée
> 10
< 10
Fraction excrétion de l’urée****
< 35 %
> 35-40 %
Tableau 2. IRA : insuffisance rénale aiguë ; * exprimées en μmol/L ; ** (Nau/Nap)/créatinine U/créatinine p) ; ** attention aux unités, la créatinineu est en mmol/L et la créatininep en micromoles ; *** (uréeu/uréep)/créatinine U/créatinine p) ; **** à utiliser en cas de prise de diurétiques.
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Tableaux clinico-biologiques en fonction du compartiment rénal impliqué
Compartiment
Clinique
Protéinurie
Sédiment
Autres
Vasculaire
Hypertension
< 1 g/g de créatinine sur échantillon
Hématurie
Stigmates de micro-angiopathie thrombotique
Glomérulaire
Œdèmes Signes extrarénaux
> 1 g/g avec > 50 % d’albumine
Hématurie abondante (> 200 GR/µL d’urine) avec cylindres hématiques
Hypo-albuminémie
Tubulo-interstitiel
PolyurieSignes extrarénaux
< 1 g/g
Leucocyturie aseptique
Troubles ioniques (syndrome de Fanconi, hypomagnésémie…)Hyperéosinophilie si allergie
Tubulaire seul (NTA)
Hypotension ou prise de néphrotoxique
< 1 g/g
Inactif (ni hématurie abondante ni leucocyturie)
Tableau 3. GR : globules rouges ; NTA : nécrose tubulaire aiguë.
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Résumé
L’insuffisance rénale aiguë a aujourd’hui une définition simple et universelle, fondée sur l’élévation de la créatininémie sur un temps court. Elle peut représenter une menace vitale, et il est prioritaire de l’évaluer avant toute démarche étiologique. Cette dernière requiert une analyse clinique, biologique et radiologique, et elle est stéréotypée : on cherche dans un premier temps un obstacle sur les voies urinaires, puis une insuffisance rénale par défaut de perfusion efficace, et enfin, par élimination, on aboutit au diagnostic d’insuffisance rénale aiguë « organique ». Le cas échéant, la cause la plus fréquente, a fortiori en réanimation médicale, est la nécrose tubulaire aiguë ischémique qui est un diagnostic par défaut qui implique la présence d’un contexte évocateur, et de plusieurs signes négatifs : absence de signes extrarénaux, protéinurie faible et sédiment urinaire inactif. Dans tous les autres cas, un avis néphrologique est urgent, et la biopsie rénale est discutée.